Monumenta : L’étrange cité des Kabakov
Chaque année au printemps, il se passe d’étranges choses sous la Nef du Grand Palais. L’espace a ainsi été successivement envahi par une gigantesque baudruche aubergine, des parapluies multicolores, des monolithes d’acier, des tours de Babel en ruine, des amas de tissus et de boîtes à gâteaux*. En ce mois de juin, une cité éphémère dresse ses murs immaculés à l’abri de la verrière. Monumenta est de retour. Cette manifestation d’art contemporain invite un artiste à créer une œuvre pour ce célèbre édifice parisien et à défier son immensité. Car le Grand Palais, c’est tout de même 13 500 m2, 200 m de largeur, 45 m de hauteur, un sol en béton brut mal dégrossi, un toit de verre sublime qui happe le regard. Cette année, le spectateur a le droit, non pas à un seul artiste, mais à un couple : les Russes Ilya et Emilia Kabakov, figures majeures de la scène artistique. Pour Monumenta, ils ont construit une cité utopique et mystérieuse. L’installation, complexe, mêle musique, architecture, dessin et sculpture. Elle entraîne le visiteur entre rêve et réalité, dans un parcours initiatique où les Kabakov s’interrogent sur la condition humaine, sur « les grandes visions du progrès, de la science, de l’élévation de l’homme, qui ont pu conduire au bord du désastre. »
Parcours guidé de l’exposition
Une fois franchies les portes du Grand Palais, en préambule, une pancarte donne les règles de la Cité : pas de portable, baisser la voix, pas de selfie. Oublions ces interdictions manquant d’humour, et engageons-nous dans le parcours proposé par les artistes.
La coupole
Ilya et Emilia Kabakov nous accueillent avec une structure de métal évoquant l’orgue de lumière du compositeur russe Alexandre Scriabine, alliant sons et couleurs. Cette coupole gigantesque diffuse une musique lancinante, son cœur s’éclaire de battements acidulés.
La porte
L’entrée de la cité s’effectue ensuite par une porte en ruine, qui réunit symboliquement vestiges du passé et visions du futur. La cité est entourée d’un mur d’enceinte circulaire qui la protège de l’extérieur. À l’intérieur, cinq pavillons.
Le musée vide
Le premier pavillon évoque les grandes salles d’exposition des musées russes. Les peintures au mur sont remplacées par des flaques de lumière ovales. La Passacaille de Jean-Sébastien Bach remplit les lieux de musique. Libre aux spectateurs d’imaginer les tableaux évaporés ou de se laisser porter par les variations de l’orgue de Bach.
Manas
Les artistes ont imaginé une ville disparue au nord du Tibet. Cette ville est entourée de huit montagnes dont les sommets accueillent des dispositifs de communication avec les sphères supérieures. Des maquettes en bois et des dessins expliquent chacun des dispositifs. Au centre de la salle, un espace fermé présente la maquette de Manas, la ville disparue, avec ses deux niveaux, terrestre et céleste.
Le Centre de l’énergie cosmique
Là aussi, maquettes en bois et dessins. Cette salle évoque l’énergie cosmique qui se déverse sur la terre selon un angle de 60°. Un centre et son laboratoire recueillent cette énergie et communiquent avec la noosphère, sphère de la pensée humaine. Celle-ci contiendrait toutes les consciences de l’humanité selon un concept développé par le chimiste Vladimir Vernadski et le philosophe Pierre Teilhard de Chardin.
Comment rencontrer un ange
L’ange chez les Kabakov peut avoir deux significations. Il s’agit de l’ange gardien, qui porterait l’homme vers la bienfaisance et l’amélioration morale. Mais il peut aussi s’agir de l’ange déchu qui prédit la perte de la spiritualité et la domination du matérialisme.
Les portails
Dans cette salle, peintures et dessins côtoient un grand portique, symbole du passage de la vie à l’au-delà.
Les chapelles
En dehors de l’enceinte de la cité, deux chapelles ont été construites, côte à côte, aux dimensions des ateliers des artistes à Long Island, aux États-Unis. Mais elles peuvent s’apparenter à deux mausolées… Dans la chapelle blanche, le dispositif évoque les fresques disparues des églises et partiellement recouvertes de peinture blanche. Ici, le thème de peintures n’est pas religieux, c’est un pan du passé des artistes, des images de la propagande soviétique qui a bercé leur jeunesse. Dans la chapelle noire, l’atmosphère rappelle plus un atelier d’artiste. Des tableaux gigantesques représentent le couple recevant un prix à Tokyo. Mais la scène a été inversée dans un angle à 45°, et mêlée à des images tirées de l’histoire de l’Union soviétique. Des taches blanches symbolisent le chiffon du peintre. Tous ces souvenirs de la petite et grande histoire finiront par disparaître !
En conclusion
C’est une belle édition de Monumenta où l’on peut rêver et méditer sur la place du spirituel dans l’évolution humaine. Il est cependant dommage que les artistes n’aient pas ouvert les plafonds des différents pavillons de leur étrange Cité sur la verrière du Grand Palais. En accord avec les thématiques évoquées par les Kabakov, le spectateur aurait pu essayer de communiquer avec le Cosmos et ses sphères supérieures.
Infos pratiques
Monumenta 2014 : Ilya et Emilia Kabakov. L’Étrange Cité. 10 Mai 2014 – 22 juin 2014. Grand Palais, Nef. Lundi, mercredi et dimanche 10 h – 19 h. Jeudi, vendredi et samedi 10 h – 0 h Fermeture hebdomadaire le mardi.
Mon conseil : venir en fin de journée quand la lumière fait place à la nuit, pour mieux apprécier les différentes ambiances de cette installation totale !
* un résumé très bref des créations d’Anish Kapoor, de Daniel Buren, de Richard Serra, d’Anselm Kiefer et de Christian Boltanski présentées aux éditions précédentes de Monumenta.
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[…] Petite visite guidée de l'Étrange Cité imaginée apr les artistes russes Ilya et Emilia Kabakov pour la sixième édition de Monumenta au Grand Palais. […]