Sculptures de Lionel Sabatté à l’Aquarium de Paris
Drôle d’endroit pour une exposition. À deux pas du Trocadéro, l’Aquarium de Paris accueille les sculptures de Lionel Sabatté. À l’origine de l’événement, un coup de cœur d’Alexis Powilewicz, administrateur des lieux, pour l’œuvre du sculpteur. L’artiste confie : « Il y a plus d’un an, Alexis Powilewicz a acheté l’une de mes pièces dans une galerie, un grand poisson échoué. Il m’a ensuite proposé d’exposer. J’ai d’abord eu un temps d’hésitation, impressionné par l’ampleur de la tache, mais l’enthousiasme a vite pris le relais. » Il faut reconnaître que le challenge était de taille. C’est la première fois qu’un tel événement est organisé dans ces lieux dédiés à la découverte du milieu marin et qui semblent peu adaptés à la présentation d’œuvres d’art. Éclairages austères, volumes hétéroclites, animaux incroyables monopolisant l’attention du spectateur, autant d’embuches pour une exposition… Mais Lionel Sabatté, qui avait carte blanche, a su déjouer les pièges de cet univers aquatique. Ses œuvres s’intègrent dans l’espace avec naturel, comme ses poissons d’argent flottant dans les airs, ses créatures hybrides végétales et minérales, à l’allure de murènes, ses oiseaux en moutons de poussière qu’on dirait rescapés d’une marée noire… Les scultpures interagissent avec l’environnement par des clins d’œil, en se reflétant sur les vitres des aquariums, telles des chimères surgissant des profondeurs marines. La beauté des œuvres de Lionel Sabatté tient en partie dans l’origine de leurs matériaux. L’artiste récupère tout ce qu’il peut trouver, des souches déracinées, des pièces de monnaie sans valeur, et même des rognures d’ongle et des peaux mortes. Il redonne vie à ces bouts de rien, pour créer un bestiaire fantasmagorique à la fausse fragilité…
Pour Cimaises-leblog, Lionel Sabatté explique quelques-unes des œuvres phares de l’exposition et leurs secrets de fabrication.
Chant silencieux
« Cette œuvre a été réalisée lors d’une résidence d’artistes dans la Meuse, le Vent des forêts. J’ai récupéré la souche d’un chêne abattu pendant la grande tempête de 1999. Sa forme était d’une telle beauté que j’ai choisi de ne pas y toucher. J’ai réalisé des extensions pour redonner vie à cet arbre mort, le transformer en chimère. Cette sculpture est composée de pièces d’un centime d’euro, une pièce qui a également vu le jour en 1999. Les pièces de monnaie sont un matériau qui me plaît beaucoup, car elles circulent énormément, créant une forme d’échange entre les personnes. La pièce évoque aussi le trésor du fond des mers. J’ai fait rouiller le métal pour que sa teinte s’accorde à celle de l’arbre. Dans mon travail, j’utilise beaucoup l’oxydation. Ce phénomène naturel permet de créer de l’énergie, il représente dans mon imaginaire la dualité du vivant et du vieillissement. J’ai laissé apparente la structure en métal, pour donner un aspect de construction ou de ruine. Certains spectateurs y voient ainsi la jaillissement de la vie ou au contraire une bête à l’agonie. »
Le K
« J’ai appelé ce poisson, le K, en référence à une nouvelle de Dino Buzzati qui m’avait marqué à l’adolescence. Dans ce récit, une créature marine poursuit le personnage principal dès qu’il s’approche de l’eau. Effrayé, celui-ci passe sa vie à l’éviter. Quand le héros sent qu’il va mourir, il décide d’aller se confronter à sa peur. Le fameux K apparaît. Il lui révèle que s’il l’a recherché sur toutes les mers, c’était pour lui donner une perle magique qui lui aurait assuré bonheur et réussite. Cette sculpture fait partie d’un banc de poissons, colonne vertébrale de l’exposition. Au départ j’avais imaginé des poisson échoués, j’ai décidé de les faire voler et de les suspendre dans la pièce principale de l’Aquarium. Ce sont des poissons imaginaires, qui évoquent une idée de l’évolution par la transformation de leur forme. Une grosse partie du travail d’accrochage a été d’arriver à composer avec leurs ombres projetées sur les murs. Ces ombres rappellent l’art pariétal, un art qui vient du fond des âges, mais aussi les mystères des profondeurs marines. »
Sombre réparation
« J’ai récupéré des ailes de papillon abimées et mises au rebut chez le taxidermiste Deyrolle. J’ai reconstruit des insectes avec des bouts d’ongles et des peaux mortes. Je leur ai redonné vie grâce à ma chair. Les gens ont souvent une réaction de répulsion quand ils apprennent comment ces œuvres sont réalisées. Cette réaction que nous partageons tous m’intéresse en tant qu’artiste, car elle est irrationnelle. Nous nous serrons la main sans problème, les ongles sont des outils de séduction, mais dès que la peau et les ongles sont détachés du corps, ils deviennent dégoûtants. Pourquoi ? Je ne sais pas. »
Le Cygne noir
« Cette pièce est réalisée avec de la poussière du métro Chatelet. Cela fait quinze ans que je vais balayer dans la station, j’y suis toléré. Au début, les balayeurs avaient même peur de moi, ils pensaient que je venais les contrôler. J’ai choisi cet endroit parce qu’un million de voyageurs y passent chaque jour. Toutes ces personnes très différentes sont représentées dans la poussière. Ce matériau nous rassemble par-delà son côté repoussant. Avant de travailler la poussière, je la désinfecte et la stérilise. Après ce traitement, j’agglomère mes moutons sur une structure métallique avec de la colle en bombe, je passe ensuite plusieurs couches de vernis. Pour cette œuvre, j’ai ajouté de la poussière de l’aquarium au niveau des ailes. Cette poussière, plus fine, plus minérale, m’a donné une nouvelle matière. Le titre « Le Cygne noir » fait référence au livre du philosophe Nassim Nicholas Taleb. Il désigne ainsi les événements à faible probabilité qui ont des conséquences très importantes s’ils se réalisent. L’évolution se fait souvent grâce à de tels événements. »
En savoir plus
L’exposition « Fabrique des profondeurs » est à voir jusqu’au 18 mai à l’Aquarium de Paris au prix d’une entrée (20,50 euros pour un adulte plein tarif).
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[…] L'Aquarium de Paris accueille les sculptures de Lionel Sabatté jusqu'au 18 mais 2014. L'artiste nous explique son travail. […]